La Flottille pour la Liberté de Gaza : entretien avec l’écrivain Ramón Pedregal Casanova

Tlaxcala. Le 29 juin 2011 (publié par Marie)



Ramón Pedregal Casanova

Traduit par  Manuel Talens
Edité par  Fausto Giudice

 

L’Espagnol Santiago Alba Rico, philosophe, écrivain, traducteur, scénariste, auteur de théâtre, est un intellectuel engagé aux côtés des peuples en lutte. Ceux qui ne le connaissent pas pourront se faire une idée du côté où il se place comme intellectuel et être humain  en apprenant qu’il est membre de la Flottille pour la Liberté de Gaza. Cette conversation a eu lieu quelques heures avant qu’il embarque comme membre de l’équipage du « Gernika » en route vers Gaza. 



Santiago Alba Rico à Tunis


Santiago, comment vois-tu la situation internationale ? Est-ce qu’on peut dire que les gouvernements occidentaux soutiennent le sionisme alors que leurs citoyens soutiennent le peuple de Gaza et le peuple palestinien ? Si les sionistes, qui ne respectent pas les résolutions de l’ONU et font fi du droit international, attaquaient la Flottille, que pourrait-il arriver dans les pays occidentaux, soumis en ce moment à une crise capitaliste et avec des turbulences démocratiques, face à un nouveau crime comme celui de l’année dernière ?

La deuxième Flottille va démarrer dans des conditions très différentes de celles de l’année dernière et ces nouvelles conditions ont sans doute à voir avec ce qui s’est passé l’année dernière, mais aussi avec le nouveau contexte international. Les révolutions dans le monde arabe et le mécontentement populaire en Europe – qui sont des secousses sismiques inscrites dans la faille tectonique même du capitalisme mondial – font penser que les Israéliens vont essayer de « se retenir », comme notre ministre des Affaires Etrangères le leur a demandé. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’Israël, le seul état au monde sur lequel aucun pays – même pas les USA – ne peut exercer de pressions ; on est face à une force autistique qui, une fois coincée, décide toujours suivant des impulsions idéologiques immanentes et à la dernière minute. Aucune dictature au monde n’est plus imperméable à la diplomatie. La nervosité des Israéliens est notoire. Jusqu’à maintenant ils essaient d’empêcher notre départ par tous les moyens : à travers des pressions sur la Turquie, l’Europe et les USA (oui, Israël a le pouvoir d’exercer efficacement des pressions), mais aussi à travers la menace et le sabotage. Pour le moment Israël a réussi à bloquer deux bateaux et à laisser hors-jeu un troisième et il continuera à essayer. Une fois en route, plusieurs scénarios sont possibles, parmi eux le plus vraisemblable est l’assaut et l’enlèvement du bateau et des membres de l’équipage avec un niveau de violence décidé – j’imagine – au dernier moment, sans aucun lien avec notre attitude, qui sera entièrement pacifique. Dans ce cadre, le fait que tous les peuples du monde appuient la Flottille, en plus d’être la seule protection pour le Gernika, expose toujours plus clairement la fracture entre démocratie et gouvernement et l’humiliant abandon de souveraineté de la part de nos états, qui méprisent en faveur d’Israël (ou des institutions financières du capitalisme international) la volonté de leurs majorités.

Les sionistes doivent sûrement être en train de regarder les cartes maritimes, mais en Espagne les groupes d’appui à la Flottille le font aussi ; pour commencer, on va installer un centre d’information à la Puerta del Sol de Madrid en collaboration avec le mouvement du 15 Mai. Toi qui as été en contact direct avec d’autres membres de l’équipage, qu’est-ce que tu penses de ce qui se passe au-delà de l’Espagne ?

En attendant de me retrouver dans le bateau avec les autres camarades – de l’Espagne ou d’autres pays –, mon contact avec les membres de la Flottille qui sont à Athènes ne fait que renforcer ma certitude qu’Israël ne sera plus capable dans l’avenir d’entraver le départ de nouvelles flottilles vers Gaza et que toutes ses pressions et sabotages ne feront que nourrir l’obstination d’un mouvement – cette fois-ci majoritairement occidental – qui a compris la responsabilité de l’Europe et des USA dans la souffrance d’autres peuples et est prêt à remplacer ses propres gouvernements comme garant des droits humains et du droit international, en Palestine et partout dans le monde. La Flottille est la marine pacifique de cet autre pays mondial, démocratique et juste, qui est en train de se construire dans le monde arabe, en Espagne, en Grèce, dans tous les coins de la planète. La Flottille, ce n’est pas seulement quelques bateaux ; elle est immense, elle est sur terre, partout ; dans ces bateaux voyagent des centaines de milliers, des millions de personnes. Sur ces bateaux sont tous ces gens qui soufflent depuis leurs pays pour que le vent nous mène jusqu’à Gaza. Les gouvernements doivent comprendre que la plupart des passagers de la Flottille ne sont pas sur les bateaux mais sur terre : voici notre moyen le plus puissant de pression. Nous ne pouvons pas exercer des pressions directement sur Israël, mais nous pouvons le faire sur nos gouvernements à un moment où leur crédibilité et authenticité est sérieusement atteinte. Nous les passagers du Gernika sommes confiants en nos puissantes forces terrestres ; toutes les villes du monde ont largué les amarres et voyagent déjà vers Gaza à côté de nous. Dix petits bateaux ne peuvent pas résister à l’attaque d’Israël ; mais nos autres bateaux, ceux de terre ferme, sont si puissants qu’ils peuvent naviguer dans les rues et jeter l’ancre dans les places des villes et imposer des blocus moraux aux parlements et aux palais.

As-tu des nouvelles de ce qui se passe à Gaza ? Est-ce que les Gazaouis attendent l’arrivée de la Flottille ?

Comme tu le sais, plus de quarante organisations de la société civile palestinienne ont annoncé leur soutien à la Flottille et leur espoir de nous recevoir. Les Gazaouis nous attendent, nous avons un rendez-vous avec eux et ce serait une grande impolitesse de notre part de ne pas aller vers eux. À part çà, la Flottille elle-même n’a aucune importance sauf dans la mesure où elle éclaire ce qui se passe à Gaza. Gaza est la vraie nouvelle : le blocus tant de fois oublié, la situation sanitaire, économique et sociale, la douleur et la dignité d’un peuple dont la seule existence est un obstacle pour Israël. La politique d’Israël transforme intentionnellement les Palestiniens en objet d’un « holocauste » au sens étymologique original du terme : celui d’un sacrifice dans lequel tous sont potentiellement les victimes. Le cas de Gaza est exemplaire : l’application d’une punition collective qui inclut des personnes âgées, des malades et des enfants.

En tant qu’expert de la situation aux pays arabes, peux-tu nous dire dans quel état ils sont actuellement ? Les peuples arabes ont-ils les yeux tournés vers la Flottille ? Et comment lever le siège sioniste de Gaza ?

Les révolutions arabes continuent, de la Mauritanie à Bahreïn avec des avances et des reculs inégaux et avec la possibilité que l’intervention sélective des puissances occidentales  les fasse dérailler ou entrer dans une impasse. Mais il est certain que les peuples arabes ont pris la parole et ce faisant ils ont mis en difficultés tous les acteurs de la région, qui préféraient l’équilibre belliqueux et familier à ce « désordre » démocratique inattendu. Dans ce sens, Israël a beaucoup de raisons d’ être inquiet. Comme nous le rappelle l’analyste israélien Ben Kasbit, tous les changements qui étendent la démocratie dans la région mettent en danger l’existence d’Israël, au moins dans sa conception coloniale-sioniste, car s’il y a une chose que toutes les populations arabes partagent, c’est l’animosité envers l’Etat hébreu qui tue les Palestiniens. En fait, les dictatures arabes que les peuples essaient maintenant de renverser étaient aussi des boucliers de protection d’Israël contre la volonté majoritaires de leurs citoyens. Si les Arabes étaient un jour capables de s’exprimer démocratiquement ils demanderaient aussitôt – comme cela se passe déjà en Egypte et en Tunisie – la révision des rapports avec Israël et l’adoption de mesures orientées vers une vraie solidarité avec la Palestine. Sur cela toutes les forces politiques, tant la gauche que les islamistes, sont d’accord. Les changements de gouvernement qui ont eu lieu dans la région, même si à la fin ils n’arrivent pas aussi loin que nous l’aimerions, ont déjà changé la région en forçant les USA à modifier leurs alliances et même à entrer en collision avec Israël pour la première fois. Et la région a aussi changé parce qu’elle a dignifié et unifié à nouveau le monde arabe en marge de la religion en le liant immédiatement à un mouvement mondial ou, au moins, méditerranéen qui nous force à repenser tous nos paramètres d’interprétation. Le monde arabe retourne au centre de l’histoire et nous ne devons pas oublier que le centre symbolique du monde arabe est la Palestine. Le centre de l’histoire est maintenant la Palestine. Et pour cette raison – comme la plupart des médias arabes les plus importants le montrent très clairement, même pendant les bouleversements en Syrie, en Libye et au Yémen – la Flottille pour la Liberté de Gaza occupe une place importante dans l’attention du monde arabe.

As-tu quelque chose  à ajouter?

Te remercier pour ton soutien solidaire à l’initiative et insister encore une fois sur le fait que seuls les soulèvements des peuples face aux dictatures – personnelles ou structurelles – peuvent garantir les droits du peuple palestinien et de tous les peuples du monde.


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Dernière mise à jour de cette page le 14/08/2011

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