Inf'OGM. Le 28 Juillet 2010 par Eric Meunier
 La   Commission européenne (CE) propose aux Etats membres de leur fournir   les outils nécessaires pour décider d’interdire nationalement la culture   d’une plante génétiquement modifiée (PGM). Cette proposition, dont le   contenu a été rendu public début juin, est perçue différemment selon  les  acteurs impliqués dans le débat. Pour une entreprise comme Dupont,  il  s’agit d’un grand pas en avant. A l’inverse, certains considèrent  qu’il  s’agit d’un jeu de dupes que la Commission propose pour alléger  son  travail sur le dossier des PGM et accélérer les autorisations   européennes. Pour d’autres, il s’agit d’une proposition qui pourrait   être discutée mais après que la Commission ait préalablement répondu à   certaines questions. Et nombreux sont ceux qui se retrouvent justement   sur les réponses à obtenir de la Commission avant même de se prononcer   sur sa proposition. Dans tous les cas, les discussions s’annoncent   vives. Tour d’horizon des réactions. Les gouvernements français et espagnols  ont été les premiers à donner un aperçu de leurs positions à l’occasion  du Conseil des ministres de l’Environnement du 11 juin 2010. Pour le ministre de l’Environnement français, Jean-Louis Borloo, les  choses semblent assez claires : « les vingt-sept se sont mis d’accord à  l’unanimité en décembre 2008 pour revoir complètement les méthodes  d’évaluation et d’expertise qui aboutissent aux autorisations (1) [...]  considérant qu’en l’état actuel, le système n’est pas suffisamment  rassurant, pertinent. [...] J’attends que la Commission européenne nous  dise où on en est. Que l’on puisse ensuite discuter d’une éventuelle  autorisation avec subsidiarité [NDLR : plus de latitude dans  l’application laissée aux Etats membres] ne me choque pas. Mais il ne  s’agit pas de troquer, d’échanger cette subsidiarité contre l’absolue  exigence d’un rehaussement des conditions d’expertise » (2).  Attendues dans ce débat sur les procédures européennes, les réactions  des entreprises ne sont pas légion. A n’en pas douter, ces entreprises  auront pourtant un poids dans les discussions. Au point d’être informées  des avancées avant les autres ? La question se pose puisque qu’un  représentant de Dupont explique avoir eu une présentation des  propositions par John Dalli, avant que celles-ci ne soient rendues  publiques. Selon le vice-président de Dupont, James Borel (5), cette  proposition est « un grand pas en avant » mais elle n’éliminera pas tous  les obstacles à la commercialisation des PGM. Il précise également que  « sur la durée, les Etats membres y viendront [aux PGM] et réaliseront  les bénéfices de cette technologie », comme un écho aux positions des  structures opposées à cette proposition, car, selon lui, les Etats  membres interdisant les PGM se les verront imposer de force par les  Etats membres les cultivant autour d’eux. Du côté de la société civile, historiquement à l’origine du débat  européen sur les PGM après les premières actions en 1998 et 1999,  méfiance et fermeté semblent prédominer. Méfiance sur la faisabilité et  les conséquences de la proposition, fermeté sur les réponses à obtenir  de la Commission avant tout. Les Amis de la Terre ont été les premiers à rendre publique leur  position (7). Et on retrouve dans cette dernière les éléments soulevés  par d’autres, bien qu’avec un rappel plus détaillé des demandes  préalables à tout changement de procédure. Accueillant « prudemment » la  proposition de la CE, les Amis de la Terre Europe rappellent que les  mesures permettant « de prévenir les contaminations croisées et assurant  que les entreprises de biotechnologies payent pour tout dommage  résultant de la culture de PGM » doivent être prises avant toute chose.  Tant que ces mesures ne sont pas en place, les Amis de la Terre  demandent un moratoire sur toutes cultures de PGM. Dans le détail, cette  association demande donc « des mesures effectives pour arrêter toute  contamination issues des cultures de PGM ; une responsabilité  contraignante des entreprises de biotechnologie ; la prise en compte des  impacts socio-économiques sur les agriculteurs ; un seuil à zéro pour  les contaminations des semences et une mise en œuvre complète de la  demande des Etats membres de renforcement des évaluations des risques  sanitaires des cultures de PGM ». Cette position rejoint donc celle des Etats membres formulée en 2008,  enrichie d’une demande de responsabilité des entreprises, élément a  priori difficile à obtenir de la Commission européenne. José Bové, député européen du groupe des Verts, a aussi réagi  rapidement à la proposition faite par la Commission. Il se déclare  « fermement opposé au fait que la Commission européenne essaie de se  débarrasser de ce  problème sur les Etats membres individuellement ».  D’autant que pour lui, cette proposition a pour but principal « d’éviter  des conflits encore possibles avec les Etats-Unis et d’autres pays  comme l’Argentine et le Brésil et d’évacuer le débat politique mené dans  la société et qui devenait inéluctable au sein du Conseil des Etats  membres » du fait d’un « nombre croissant d’exemples montrant les  dangers environnementaux d’utilisation des plantes OGM ». Par ailleurs,  le député européen affiche son inquiétude si la proposition devait se  concrétiser : « l’UE est un marché libre sans contrôle aux frontières  entre ses Etats membres. La circulation libre des semences GM, des  matières premières agricoles transgéniques et de la nourriture animale  GM se fera librement sans traçabilité réelle et les pays qui auront  interdit les cultures GM sur leurs territoires auront d’extrêmes  difficultés à se protéger des pays voisins producteurs d’OGM ». La proposition de la Commission européenne est arrivée sur le bureau des  Etats membres le 13 juillet (cf. encadré ci-dessous). Le 11 juin 2010,  comme on l’a vu, la France et l’Espagne ont clairement fait connaître  leur opposition à discuter de cette proposition avant que la Commission  n’ait répondu aux demandes du Conseil des ministres de décembre 2008.  Selon Jean-Louis Borloo, la position française serait partagée par une  majorité d’Etats membres, treize l’ayant même officiellement fait savoir  au cours du même Conseil des ministres de l’Environnement (8). Pour  faire valoir sa position, la France va donc maintenant discuter ferme  avec ses partenaires européens pour être suivie face à la Commission  européenne. Si une position commune semble pouvoir être atteinte contre  cette dernière dans l’immédiat, les raisons de chaque Etat ne sont très  certainement pas les mêmes. Pour la France, il s’agit de renforcer en  priorité l’évaluation avant autorisation. Pour l’Espagne, où les  cultures de PGM sont les plus importantes en Europe, il pourrait s’agir  de garder la main sur ce dossier et ne pas donner aux régions plus de  pouvoir qu’elles n’en ont déjà, dans un pays où la culture régionale  intervient fortement dans la politique nationale. Les acteurs de la  société civile présentent une position commune ce qui est  incontestablement une force face à une Commission qui espérait très  probablement les diviser. Les discussions estivales devraient  probablement se finaliser à l’automne 2010, sauf si elles ne vont pas  dans le sens souhaité par la Commission et que celle-ci fait le choix de  reculer. Mais une autre bataille aurait pu – et pourrait encore partiellement -  être gagnée par la Commission dans le dossier des OGM : qu’elle  réussisse à attirer l’attention de tous les acteurs sur cette  proposition et qu’elle fasse oublier les autres travaux en cours. La  remise sur le tapis des conclusions du Conseil des ministres de décembre  2008 est un premier signe que ce point et tout ce qui le compose ne  seront pas oubliés. Mais d’autres travaux sont en cours, à l’image de la  définition comme OGM des produits issus de huit nouvelles techniques de  biotechnologie, l’hypothèse de la levée de la tolérance zéro sur les  PGM non autorisées et contaminant des lots importés, la révision des  législations existantes... Inf’OGM s’attachera à être vigilante sur ces  dossiers, pour éviter qu’ils ne soient enterrés... Les gouvernements réagissent différemment
 La position espagnole paraît plus radicale. La ministre de  l’Environnement et de l’Agriculture, Elena Espinosa a en effet déclaré :  « nous avons toujours défendu l’idée qu’il [le dossier des PGM] doit  s’agir d’un programme européen. L’agriculture est une politique commune  et il n’y a aucune raison qu’une production particulière ne fasse pas  partie de cette politique commune ». Selon Reuters, la ministre a  également déclaré accueillir « favorablement tout renforcement de la  transparence et de l’expertise scientifique qui permettrait d’accélérer  les processus d’adoption » (2).
 La position du gouvernement belge – qui présidera l’UE lors des  discussions sur la proposition - illustre des questionnements que l’on  retrouve ailleurs, relatifs à la faisabilité d’une telle proposition,  notamment au regard des règles du marché commun. Selon Herman Claeys,  diplomate belge, le gouvernement belge a « des doutes quant à savoir si  [les pistes proposées par la Commission] respectent les règles internes  du marché, celles de l’Organisation Mondiale du Commerce et les accords  bilatéraux » (3). De son côté, Michel Haas, du ministère autrichien de  la santé a expliqué que cette proposition « va dans la bonne direction  […] la moitié des Etats membres seront, je crois, satisfaits de cette  proposition mais pas tous » (4).
 Enfin, la Grande-Bretagne a fait valoir son soutien à cette proposition,  considérant que « les OGM ont un rôle significatif à jouer » et qu’il  faut « laisser le choix au consommateur » (3). Pour l’entreprise Dupont, c’est « un grand pas en avant » !
 Pour la société civile, une position de méfiance
 Ainsi, certains affichent d’ores et déjà une opposition de principe  comme la Coordination européenne de Via Campesina. Cette dernière se  déclare « atterrée de la proposition faite par la CE de restructurer la  procédure de décision entre l’UE et les Etats membres, proposition qui  résultera en plus de PGM cultivées et utilisées en Europe » (6). Pour  Via Campesina, qui rappelle que les citoyens européens ne veulent pas  des PGM, la proposition vise donc seulement à « faciliter l’autorisation  des PGM » sous couvert d’en permettre l’interdiction (pour la culture)  par les Etats membres. Et de poser à son tour la question de la  faisabilité d’une telle procédure : « comment un pays pourra-t-il  interdire aux agriculteurs d’acheter et cultiver des semences GM alors  que ces dernières sont légalement vendues et librement distribuées sur  le marché unique, alors que des agriculteurs des pays voisins cultivent  ces mêmes plantes sans restriction ? ». De même à l’international pour  la question des conflits potentiels à l’OMC : « aucun Etat membre ne  pourra longtemps résister à la pression d’une contestation à l’OMC s’il  n’est pas soutenu par l’Union européenne ». José Bové affiche son refus
1, http://www.infogm.org/spip.php?arti... 2, Reuters, 11 juin 2010, http://fr.reuters.com/ article/frEuroRpt/idFRLDE65A15Z20100611 ?sp=true 3, Reuters, 9 juin 2010, http://www.reuters.com/ article/idUSLDE6581K120100609 4, AFP, 29 juin 2010 5, http://www.reuters.com/article/ idUSTRE6575UU20100608 6, Source Inf’OGM 7, http://www.foeeurope.org/press/2010/ Jun04_Europe_to_change_rules_on_growin g_genetically_modified_crops.html 8, Conférence de presse du 17 juin 2010 du HCB
 
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