Source : Le Monde Diplo, par Aurélie Trouvé, mis en ligne le 6 mai 2015
Chers actionnaires,
Nous attirons votre intérêt sur l’extraordinaire opportunité offerte par les négociations actuelles sur le grand marché transatlantique (GMT). Ce traité devrait contribuer à la croissance exponentielle de vos dividendes et renforcer notre position de leader mondial dans les semences, les organismes génétiquement modifiés (OGM) et la protection des cultures. Il vient récompenser nos intenses efforts de lobbying, menés depuis de nombreuses années.
Nous souhaitons tout d’abord vous rassurer : même si le président de la République française, M. François Hollande, a affirmé le 2 octobre 2013 qu’il fera « tout pour que l’agriculture puisse être préservée dans la négociation avec les Etats-Unis », car « nos produits ne peuvent pas être abandonnés aux seules règles du marché », l’agriculture fait bel et bien partie du mandat de négociation que la France a voté. Le GMT nous offrirait la possibilité de réduire les réglementations excessives européennes sur la santé et l’environnement, qui nous empêchent d’exporter librement désherbants, pesticides et OGM.
Dans le cadre des pourparlers et par la voix de notre lobby, la Biotechnology Industry Organization (BIO), nous protestons contre les différences de normes qui persistent entre les Etats-Unis et l’Union européenne et exigeons « l’élimination des retards injustifiés dans le traitement de nos demandes pour introduire de nouveaux produits biotechnologiques (1) ». Nous pourrons compter sur l’appui de certains Etats membres, comme le Royaume-Uni, dont le premier ministre David Cameron a déclaré : « Tout doit être sur la table. Et nous devons nous attaquer au cœur des questions réglementaires, de façon à ce qu’un produit accepté d’un côté de l’Atlantique puisse immédiatement entrer sur le marché de l’autre » (The Wall Street Journal, 12 mai 2013).
Un obstacle de taille doit tomber : le « principe de précaution », qui oblige à prouver l’absence de risque avant la mise sur le marché d’un produit en Europe. Cet archaïsme soumet nos OGM à une procédure d’autorisation et à une évaluation des risques obligatoire et publique. Résultat, les populations du Vieux Continent ne peuvent profiter que d’une cinquantaine de produits génétiquement modifiés, contre des centaines de l’autre côté de l’Atlantique, où les consommateurs devraient bientôt découvrir le goût du saumon OGM.
Le GMT lèvera de telles entraves, comme l’obligation d’étiqueter tout produit OGM sur le sol de l’Union. Preuve qu’il était temps d’agir, ce projet saugrenu séduit certains Etats américains (2).
Certes, il sera délicat politiquement d’obtenir un alignement complet des normes au moment de la signature de l’accord : des protestations citoyennes commencent déjà à se faire entendre. Mais fort heureusement, deux mécanismes inclus dans les mandats de négociation permettront un alignement des normes après la signature. D’une part, le règlement des différends investisseurs-Etats nous permettra de contester directement des réglementations mises en place par l’Union européenne, les Etats ou les collectivités locales qui interdiraient par exemple de cultiver des OGM en France. D’autre part, un « conseil de coopération réglementaire », constitué de représentants des agences de régulation américaines et européennes, supervisera toutes les normes existantes ou émergentes, avant même leur soumission aux procédures législatives.
Un autre volet des négociations nous intéresse particulièrement : les droits de propriété intellectuelle. L’objectif : obliger chaque agriculteur à se procurer ses semences auprès de nous. Tout agriculteur pourrait être poursuivi pour contrefaçon dès lors qu’il serait soupçonné de posséder de façon frauduleuse des semences d’une variété protégée par un brevet que nous avons déposé. Ses biens et ses comptes bancaires pourraient être gelés. Tout acheteur de récoltes issues de ces semences pourrait se voir accuser de recel de contrefaçon. Travailler sur sa propre sélection et production de semences à la ferme deviendrait ainsi pratiquement impossible, comme le suggère la bataille que nous avons remportée contre les agriculteurs colombiens dans le cadre d’un autre accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Sous notre pression, l’Etat colombien a d’ailleurs dû détruire massivement les récoltes issues de semences produites à la ferme (3). De telles clauses de propriété intellectuelle figurent dans l’accord entre l’Union européenne et le Canada (CETA), en passe d’être ratifié, et sont négociées dans le cadre du GMT.
Enfin, le partenariat transatlantique ouvre la voie à une réduction substantielle des tarifs douaniers. Les droits de douane agricoles sont en moyenne bien plus élevés côté Union européenne : 13 %, contre 7 % côté Etats-Unis (4). Ils protègent encore des productions très sensibles, notamment en élevage, et dépassent parfois 100 % (5). Leur diminution permettra de faire jouer pleinement la concurrence et d’exporter davantage de blé et de soja OGM. Elle incitera l’agriculture paysanne à adopter un modèle plus compétitif, à baisser les coûts de production dans des exploitations de plus en plus grandes et motorisées, utilisant de plus en plus de pesticides, de désherbants et, espérons-le, des OGM.
Comme vous le voyez, chers actionnaires, grâce au GMT, l’avenir s’annonce radieux pour nous, et donc pour vous.
La direction de Tonsanmo
Aurélie Trouvé
(1) « Transatlantic Trade and Investment Partnership. Comments submitted by Biotechnology Industry Organization (BIO) » (PDF), document USTR-2013-0019.
(2) « TAFTA as Monsanto’s plan B : A backdoor to genetically modified food » (PDF), Public Citizen.
(3) « Accords de libre-échange. Droit de propriété intellectuelle sur les semences ou souveraineté alimentaire, les parlementaires européens doivent choisir », communiqué de presse de plusieurs organisations syndicales et associations, 25 mai 2014.
(4) Lionel Fontagné, Julien Gourdon et Sébastien Jean, « Les enjeux économiques du partenariat transatlantique », La Lettre du CEPII, no 335, Paris, 30 septembre 2013.
(5) Jacques Berthelot, « La folie d’intégrer l’agriculture dans le projet d’accord transatlantique », Solidarité, 30 mars 2014.
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