Faillite du nucléaire français, qui va payer ? Cigéo : projet d’enfouissement des déchets nucléaires

Article publié dans Le Lot en Action de mars 2016 (n°98), par Bluboux, mis en ligne le 18 mars 2016

Environnement cigeco schema 3Le délire industriel nucléaire continue. Alors qu’Areva s’embourbe à Flamanville dans un chantier qui n’en finit plus autour du nouvel EPR, et qu’EDF essuie des revers boursiers sans précédent, c’est le projet d’enfouissement de Cigéo, à Bure, qui vient rajouter une dernière goutte d’eau dans le vase déjà trop plein du nucléaire. Le projet décrypté en six failles.

« Cigéo » est le projet de centre de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde porté par l’Andra. Situé à Bure, dans la Meuse, aux confins de la Champagne, Cigéo est conçu et dimensionné par l’Andra pour stocker les déchets radioactifs dits de « haute activité » et de « moyenne activité à vie longue ». Son coût, initialement estimé par l'Andra à 13 milliards au début du projet, vient d'être révisé par l’État (1) et passe à 25 milliards, alors que l'Andra parlait déjà de 35 milliards (2) en 2011. Selon Greenpeace (3), il convient de doubler ce chiffre…

Valse des milliards... entre le déficit d'Areva (près de 10 milliards sur 5 ans), d'EDF avec les EPR de Flamanville, dont le coût initial est passé de 3 à 9 milliards, et ceux d'Hinkley Point en Grande-Bretagne, passés de 16 à 33 milliards, et maintenant celui de l'Andra avec Cigéo...

Mais qui paie ? Les contribuables français bien sûr, c'est à dire nous tous. Si les pro-nucléaires mettent en avant le prix du kilowatt français, ils oublient au passage d'intégrer ces sommes colossales qui changent totalement la donne.

On ne parle même pas des conséquences qu'auront le ou les futurs accidents majeurs qui nous pendent au bout du nez, à force de tirer sur la corde et de repousser la limite d'âge des centrales nucléaires françaises. Il faut dire que pour remplacer les 22 réacteurs qui atteindront la limite des quarante ans à la fin 2020 (sur les 58 en service actuellement), c'est 11 EPR qu'il faudrait, et à 10 milliards pièce, ça commence à donner le tournis… Et si l'option avancée par EDF elle même était retenue, prolonger de vingt ans la durée vie des centrales en effectuant des travaux de mise aux normes (un chantier pharaonique nommé le « grand carénage »), le coût (de départ) serait de 55 milliards d'euros (4).

Combien de temps va-t-on laisser les grands malades qui nous gouvernent piller les fonds publics, au détriment du bien commun (santé, éducation, environnement, acquis sociaux) ?

 

Environnement cigeco schema 2Mais revenons à Cigéo : l'enfouissement est un pari, très risqué selon les opposants, tranquille pour l'Andra. Mais il reste un pari. Engager l'enfouissement aujourd'hui, c'est sonner le glas de tout espoir futur de la communauté humaine de se préserver réellement de cette menace en l'éliminant. La réversibilité de Cigéo sur 50, 100 ou 200 ans est malheureusement un leurre absolu. Car au delà de sa faisabilité technique sujette à caution, au delà de son coût totalement exorbitant, elle pose le problème politique et sociologique suivant : à quoi bon chercher une autre solution si on a mis le doigt dans la voie de l'enfouissement en engageant des sommes considérables ?

Quels que soient les choix énergétiques de demain, les déchets vont demeurer et les populations vont subir une double peine : après qu'on nous ait imposé l'énergie nucléaire sans débat, on va maintenant, en démarrant l'enfouissement, nous priver de la possibilité de nous débarrasser des déchets radioactifs.

Nous vous livrons ci-dessous la critique étayée par Greenpeace (3), concernant Cigéo, qui met en avant 6 grandes « failles » du projet. Précisons également que le récent accident qui s'est produit en janvier dernier à Bure, faisant un mort et un blessé parmi l'équipe de l'entreprise prestataire en cours d'intervention, concerne le laboratoire de Bure, qui préfigure ce que sera le futur centre de stockage de déchets radioactifs de Cigéo. Actuellement l'Andra teste le creusement de plusieurs kilomètres de galeries et d'alvéoles. Le chantier principal n'est pas encore d'actualité.

 

Faille n° 1 : l’insécurité géologique

Environnement cigeco schema 1Le site de Cigéo est censé accueillir les déchets dits de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) existants et à venir, y compris ceux de l’EPR français (basé sur une durée d’exploitation de 40 ans des réacteurs). Actuellement, ces déchets sont entreposés dans l’usine de retraitement de la Hague, avec un système de ventilation pour réguler les températures extrêmement élevées liées à la radioactivité de ces déchets.

Ces déchets représentent seulement 3% du combustible usagé, mais concentrent environ 99 % de la radioactivité initiale du combustible. La concentration radioactive y est d’ailleurs telle que seules des machines peuvent manipuler ces conteneurs de déchets.

À Cigéo, les conteneurs hautement radioactifs seraient stockés en profondeur dans une couche géologique d’argile, sélectionnée pour sa relative stabilité. L’argile est notamment connue pour ses qualités en matière d’imperméabilité.

Cependant, il est bien évident que les travaux de forage déstabiliseront cette couche argileuse. De plus, des épisodes sismiques ne sont pas totalement exclus. La stabilité historique de la zone n’est pas une preuve suffisante, du moins complètement satisfaisante. Enfin, nous savons que les conteneurs et les galeries ont tendance à se déformer sous l’effet de la haute radioactivité qu’ils contiennent et des mouvements de la roche. Dans ces conditions, nul ne peut dire comment réagira la strate argileuse.

 

Faille n° 2 : l’insécurité logistique

Le site de Cigéo est censé fonctionner pendant un siècle. L’Andra souhaiterait l’ouvrir en 2030. Sauf que les déchets de haute activité produits à date ne pourront pas être stockés dans un lieu confiné avant 2075, tant leur radioactivité est élevée (elle nécessite un entreposage dans un endroit ventilé pendant plusieurs années). En outre, plusieurs questions se posent quant à l’infrastructure logistique nécessaire pour assurer le transport de ces déchets hypersensibles de la Hague jusqu’à Cigéo, pour l’instant non résolues.

Alors pourquoi tant d’empressement à ouvrir Cigéo ? Par simple calcul politique : les autorités ont en effet besoin de nous faire croire qu’il existe une solution au stockage des déchets radioactifs, d’abord pour maintenir la fiction du nucléaire comme énergie soutenable, ensuite pour justifier son maintien en activité et sa part prépondérante (près de 80 %) dans le mix électrique français.

 

Faille n° 3 : l’insécurité chronologique

Environnement cigecoEn outre, le site industriel de la Hague, où sont pour l’instant traités et entreposés les déchets hautement radioactifs, sera obsolète en 2030 (un site industriel de ce type dure environ 40 ans). Quand bien même Cigéo serait ouvert à cette date, il ne pourra accueillir que des déchets à radioactivité moyenne, en guise de test (les autres ne pouvant de toute façon pas supporter un stockage confiné). Que fera-t-on alors des déchets hautement radioactifs stockés à la Hague ? Pour l’instant, aucune réponse.

Et que faire une fois que Cigéo parviendra à saturation, alors qu’il y aura encore de nombreux conteneurs à descendre si l’activité nucléaire du pays se maintient. L’agrandir sans fin ? Question d’autant plus épineuse que les engagements pris par les pouvoirs publics et l’Andra ne prévoient aucune infrastructure en surface à Cigéo. On déplace donc le problème sans le résoudre, au risque d’en créer de nouveaux au passage.

 

Faille n° 4 : l’insécurité économique

Cela nous amène à des considérations économiques : comment prévoir le niveau de l’inflation, le prix de l’argent, du coût de la main d’œuvre et des technologies sur des échelles de temps aussi longues ? À l’aide d’une boule de cristal ?

Or, quand il s’agit de tels ordres de grandeur (plusieurs dizaines de milliards assumés par le contribuable) cela pose un certain nombre de questions politiques auxquelles nul n’est capable de donner de réponses satisfaisantes pour le moment.

 

Faille n° 5 : l’insécurité scientifique

Environnement projet d enfouissement des dechets nucleaires a cigeoÀ Cigéo, c’est la solution du stockage définitif qui a été choisie. Cela signifie qu’une fois les conteneurs enfouis les uns derrière les autres, les galeries creusées dans l’argile seront définitivement scellées par un mélange bétonneux, de sorte qu’elles ne soient plus jamais accessibles.

Partout ailleurs, les conteneurs sont en général stockés dans des galeries accessibles à tout moment, ce qui permet d’opérer un travail de surveillance continue et d’intervenir en cas de besoin. Or à Cigéo, toute intervention a posteriori serait de fait impossible.

 

Faille n° 6 : l’insécurité historique

L’enfouissement définitif des déchets nucléaires pose en réalité la question d’une éthique du temps. Le nucléaire actionne des échelles de temps particulièrement longues, qui échappent par bien des égards au temps historique et politique. Les acteurs qui prennent les décisions aujourd’hui ne seront sans doute même plus vivants au moment de leur application – et ils ne seront plus comptables des effets de ces choix, qui engagent donc les générations futures.

Quant aux déchets hautement radioactifs, ils resteront dangereux pendant des centaines de milliers d’année encore. Ce que nous faisons aujourd’hui en matière nucléaire échappe en somme à notre contrôle et à notre implication historique.

Un jour ou l’autre, les êtres humains assisteront à la fermeture de Cigéo. Pour autant, des déchets radioactifs inaccessibles et dangereux y resteront enfouis. Comment s’assurer que les générations futures, dans des dizaines ou des centaines d’années, ne tombent pas dessus par accident, ou selon des modalités dommageables voire tragiques ?

Comment faire en sorte que les informations concernant le site de Cigéo et les déchets enfouis observent une continuité sur des centaines d’années ? Comment être sûr qu’elles soient encore lisibles et intelligibles, à la vitesse où vont le progrès technique et l’évolution des signaux communicationnels ? Comment garantir une continuité d’information ? Comment garantir une continuité politique ?

Tout cela paraît fortement hypothétique et révèle quelle est la nature civilisationnelle du

nucléaire : une suite de paris inconsidérés où l’humanité actuelle se dédouane ouvertement de sa responsabilité historique.

 

Notes

(1) Voir l'arrêté du 15 janvier 2016 au Journal officiel : http://bit.ly/1Qc697e

(2) Voir l'article « Déchets nucléaires : crise entre EDF, l'Andra et l'ASN », publié dans Libération du 24 février 2011 : http://bit.ly/1KEdPPu

(3) « Les six failles du projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Cigéo » : http://bit.ly/1RiuqYd

(4) Voir article « Areva / EDF : pourquoi les coûts du nucléaire français vont exploser », publié dans Capital dans son édition du 27 mars 2015 : http://bit.ly/20Qt6OV

 

 

 

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