Source : Le Lot en Action d'avril (n°99), par Bluboux, mis en ligne le 25 avril 2016
Le 16 février dernier, Jean-Bernard Lévy, président du groupe EDF déclarait que «l’État (a) donné son accord pour que nous modernisions le parc actuel de façon à ce que la durée de vie, qui a été conçue pour quarante ans, nous la montions à cinquante et soixante ans, sous réserve que la sécurité nucléaire soit garantie » (1). Dans cette même interview le big boss d'EDF annonçait que le groupe français n'avait pas l’intention de fermer plus de deux réacteurs nucléaires dans les dix ans à venir.
Douze jours plus tard, le dimanche 28 février, Ségolène Royal s'est dite « prête à donner (le) feu vert » au prolongement de dix ans des centrales nucléaires, qui passerait ainsi de quarante à cinquante ans, semblant donc ainsi confirmer les propos de Jean-Bernard Lévy. Or l'un des objectifs emblématique de la loi de transition énergétique, promulguée à l’été 2015, est de réduire à 50% d’ici 2025 la part de l’atome dans la production électrique française (contre 77% aujourd’hui), dans le but de favoriser les énergies renouvelables. Si la loi ne porte pas sur le nombre de centrales à fermer, la Cour des comptes a estimé, dans son rapport annuel publié au début du mois de février dernier, que cette disposition « pourrait conduire EDF à fermer 17 à 20 de ses 58 réacteurs français » (2).
Si l'intention du gouvernement est bien de prolonger la durée de vie de presque toutes les centrales nucléaires françaises, il y a comme un bémol dans l'équation. L’ingénieur énergéticien Thierry Salomon, vice-président de l’association Négawatt, explique dans un article publié par Libération le 29 février (3) : « On peut facilement démontrer que l’option "50 ans" est totalement incohérente, tout à la fois économiquement et avec la loi de transition énergétique. Dix ans de plus permettrait de maintenir en service tous les 58 réacteurs (ou 57 si l’EPR de Flamanville remplace les 2 réacteurs de Fessenheim). Pour respecter la loi, en 2025, à consommation constante, il faudrait soit fermer de l’ordre de 19 réacteurs d’un coup fin 2025, soit réduire le facteur de charge [l’équivalent de la durée annuelle de production à pleine puissance] de 6 570 heures à… 4 360 heures par centrale. Cette deuxième option respecterait la loi, la part du nucléaire se réduisant bien à 50% du mix électrique, sans fermer de centrales. Léger souci : c’est totalement anti-économique, faisant grimper le prix du kWh nucléaire, puisque le coût de production varie peu entre ces deux facteurs de charge, les frais fixes représentant l’essentiel de la structure du coût. »
Mais cette déclaration de Ségolène Royal pourrait bien révéler une autre intention du gouvernement. On se souvient qu'Henri Proglio, l'ancien président d'EDF, n'a eu de cesse de défendre lors de la préparation de la loi sur la transition énergétique le scénario du « tout électrique » : chauffage et mobilité. En clair, faire exploser notre consommation d'électricité en favorisant le développement rapide des voitures électriques et du chauffage individuel et collectif. Mais là encore, ça coince du côté des chiffres, car au rythme actuel de développement des voitures électriques, même avec une fervente ministre comme ambassadrice, l'estimation la plus optimiste de la consommation du parc de véhicules électrique en 2025 ne dépasse pas deux réacteurs.
Alors l'explication de cette déclaration étonnante de Ségolène Royal est certainement à chercher dans l'imbroglio politique et financier dans lequel la clique de Hollande s'est empêtrée, étant obnubilée par les compensations ou indemnisations que pourrait demander EDF si on lui impose de fermer des réacteurs. L'entreprise, qui est actuellement dans le rouge cramoisi avec une dette de 37 milliards, n'a plus aucun crédit auprès des marchés financiers et va pourtant devoir, pour répondre aux normes de sûreté nucléaire (pourtant trop légèrement durcies après la catastrophe de Fukushima), devoir débourser près de 100 milliards d'ici à 2030. Et là, les choix sont très limités : soit la facture des clients d'EDF explose, soit le gouvernement fait payer les contribuables, qui devront aussi assumer le financement du centre d'enfouissement de Bure (Cigéo, voir article dans notre précédent numéro), dont la facture ne cesse d'augmenter et devrait atteindre les 70 milliards, sans compter la facture des EPR de Hinkley Point, qui, s'ils voient le jour, sera de plus de 25 milliards d'euros (avec un devis initial de 10 milliards).
Bref, lorsqu'on parle du nucléaire français, on parle de milliards, à vous en donner le tournis, mais avec l'idée bien présente qu'à la fin, c'est bien nous qui allons devoir payer l'addition de cette somme faramineuse d'incompétence. En termes financiers c'est certain. En terme de conséquences humaines et sanitaires, c'est à craindre.
D'ailleurs les Suisses ne s'y trompent pas ! La ville et le canton de Genève ont annoncé le 2 mars dernier le dépôt d'une plainte contre X pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui et pollution des eaux », visant le site nucléaire du Bugey, distant d’environ 70 kilomètres à vol d’oiseau. Précisons ici que les quatre réacteurs du site du Bugey ont été mis en service en 1978 et 1979. Et en Allemagne se sont les Verts qui toussent à la suite d'un rapport (1) qui souligne des normes de sûreté « insuffisantes » concernant la centrale nucléaire mosellane de Cattenom, qui conduiraient outre-Rhin à son déclassement. Le groupe des Verts allemands demande au gouvernement fédéral d’ouvrir des négociations avec la France en vue de la fermeture de la centrale pour « danger imminent ».
Notes
(1) Voir journal Le Monde du 28 février 2016 : http://bit.ly/1UHnaI6
(2) Voir le rapport annuel 2016 de la Cour des comptes : http://bit.ly/1VkbMm9
(3) En ligne sur le site du journal Libération : http://bit.ly/1R4W8rC
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