Non-violence vs lutte armée : interview de Jean-Marc Rouillan

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Le Lot en Action, par Magalie, article publié dans le numéro d'octobre (n°114), mis en ligne le 31 octobre 2017

Dimanche 24 septembre, à l’occasion des rencontres d’auteurs et des médias libres organisées à Corn par Synchronies, La Grange aux Chimères, Com’Lot et le Lot en Action, la Libraithèque de Cahors avait invité Jean-Marc Rouillan. Hormis pour les plus jeunes, qui ne le connaissent pas, cette venue a suscité bien des réactions, du sourire à l’émoi pour certains, de l’indignation pour d’autres. En effet, cet homme est devenu au fil des ans un personnage symbolisant, en France, la lutte armée. Je l’ai entendu en cette fin de dimanche matin dire que pour lui il n’y a pas d’opposition entre l’action non-violente et la lutte armée, mais plutôt une complémentarité, la finalité étant l’essentiel.

Ma position est claire, je suis contre l’action violente. Je refuse d’utiliser les armes et les moyens de pression dont usent les pouvoirs qui nous gouvernent (politiques et financiers), à savoir la domination, la peur, l’argent, le mensonge, la manipulation. Je pense qu’aujourd’hui notre force réside dans la création de ces espaces autonomes, ces espaces de liberté, de comportements pacifistes. Certes, nous ne changerons pas le système, mais nous contribuons à l’existence d’espaces plus sains, plus humains, si tant est que l’humanité soit une garantie de mieux-être.

J’ai choisi d’aller en discuter avec Jean-Marc Rouillan. Dans cet échange nous sommes tout de même tombés d’accord sur une chose : l’importance des espaces libres de parole, de rencontres (tels que proposés sur le site ce week-end), où il est possible d’aller plus loin dans les débats, les échanges et les idées. Pour partager cette réflexion, nous avons convenu de poursuivre l'interview par mail que nous publions ci-dessous. Vous trouverez également, après l'interview, le retour de Peyo sur cette rencontre.

 

Magalie : Jean Marc, en quoi ces espaces libres de parole sont importants voire nécessaires pour toi ?

Jean marc rouillanJean-Marc Rouillan : Ces trois dernières décennies, le système a connu de telles mutations en devenant réellement monde et global qu’il a rendu obsolètes nos visions et nos pratiques passées, essentiellement centrées sur le territoire national et son organisation internationale. Aujourd’hui, personne ne peut dire « je sais ce qu’il faut faire ». Ceux qui prétendent le contraire ne sont que des charlatans et des causeurs... Nous devons sortir de nos nombrilismes et de nos assurances. Bien sûr, on connait l’ampleur de notre refus, de nos résistances personnelles et collectives. Bien évidemment, l’histoire des oppressions et de l’exploitation est un long cheminement dont on garde le sens historique et politique. Mais il est clair aussi que, localement et globalement, nos militantismes sont devenus expérimentaux. On tâtonne. Et à partir de là, seule notre intelligence collective cristallisée dans nos assemblées et nos prises de parole nous permet d’avancer petit à petit. Si nous voulons dessiner et pratiquer un agir politique au 21ème siècle, il est indispensable d’apprendre des autres, de tous les autres, d’ici et d’ailleurs…

 

Tu parles d’apprendre des autres, cela rejoint la question de l’éducation, dans des formes différentes que celle qui nous est proposée traditionnellement. L’éducation serait-elle subversive ? Si oui, serait-elle un mode de résistance à long terme ?

J.M.R. : Bien sûr ! On apprend et on transmet. L’émancipation est un processus expérimental et elle a un passé que nous devons connaître si nous voulons dépasser son héritage et éviter les erreurs déjà commises. D’où l’importance de l’auto-éducation des rebelles et des révoltés, de leur contre-culture… il n’y a pas de libération sans culture. Et cette culture, la culture du refus et du contre, qu'ils tentent d'éradiquer par la violence du fric et de l'élitisme, est totalement subversive.

 

Comment cette contre-culture peut-elle s’infiltrer auprès de la masse populaire qui bien souvent s’en désintéresse, voire en a peur ?

J.M.R. : Il faut comprendre que la contre-culture se tisse sous nos yeux. Les quartiers populaires ont développé la street-culture, dont une partie, comme le rap conscient, agit à la subversion. Ne désespérons pas. Bien qu'il s'agisse véritablement d'un combat et que pour l'instant encore, le système garde le dessus. Il produit de plus en plus une culture de merde, insipide, incolore... poussé par la seule logique de l'argent. Mais aussi, il faut que tous et toutes nous prenions en main ce travail révolutionnaire. D'un côté donc, produire et penser autonomie, écrire, filmer etc... Et d'un autre côté, orienter notre recherche vers les productions alternatives. Par exemple, il est scandaleux que de nombreux militants achètent sur Amazon ou dans des chaînes de la consommation hyper-marchande de la culture, alors que les librairies indépendantes et militantes crèvent, que les petites éditions disparaissent...

 

Comment analyses-tu la stratégie des différents pays ou régimes en matière de liberté d’expression, notamment de cette contre-culture ? As-tu constaté une évolution dans le temps ?

Jean marc rouillan colette berthesJ.M.R. : Lors de la loi Travail de Valls, les gouvernants ont accéléré les nouveaux cadres du permis de manifester et d'expression. De nombreux manifestants ont été emprisonnés, d'autres sont poursuivis... et les procès pour la liberté de parole se multiplient. J'ai moi-même été condamné pour apologie de terrorisme alors que le tribunal a accepté de considérer que je parlais d'ennemis de ma cause. On le voit encore avec les Indymédias aujourd'hui, poursuivis pour apologie de l'incendie de la gendarmerie de Grenoble... Et je pourrais citer des dizaines d'exemples... Que cela soit dans le domaine de l'action politique et culturelle, les possibles se restreignent à la vitesse grand V.

 

Dans l’exemple que tu cites (la gendarmerie de Grenoble), des médias plus gros comme BFM TV n’ont pas été inquiétés pour les mêmes faits. Pourtant, on pourrait supposer qu’ils touchent plus de monde. Pourquoi ce choix d’après toi ?

J.M.R. : Si vous avez participé au mouvement contre la loi Travail, vous vous êtes rendu compte en regardant BFM TV que vous n'étiez pas dans la rue mais au boulot... comme quoi BFM est une chaîne d'information ! Sérieusement, je crois que les masses, comme tu dis, entament une conscientisation pratique du mensonge de masse et donc des médias. Dans mon cas, des dizaines d'intellos ont dit la même chose que moi, mais c'est moi, c'est la personne ou le collectif qui pose problème.

 

Pour toi, quel intérêt ont les États à laisser la possibilité d’expression libre et quelles raisons ont-ils de la restreindre ?

J.M.R. : Habituellement, les gouvernants laissent faire tant qu'ils n'y voient aucun danger. Au moindre risque, ils répriment. Lorsque l'expression rebelle n'est plus seulement un faire-valoir au spectacle démocratique ou qu'elle est liée à une pratique subversive réelle, et surtout lorsqu’elle est la voix d'une population jugée dangereuse, le contrôle juridico-policier est total.

 

Ne penses-tu pas que les États trouvent dans la pseudo-liberté d’expression des possibilités de renseignements sur les individus et les différents groupes ? Peut-être aussi une forme de canalisation du mécontentement populaire, où les manifs auraient alors la fonction de la « minute de la haine » d’Orwell ?

J.M.R. : Oui bien sûr, c'est un aspect permanent des politiques de contre-révolution... on laisse dire et on surveille... on filme les manifestants... Mais on voit déjà le début de l'épuisement de ces gestions. Comme lors du dernier mouvement quand, terrifiés par la montée de la résistance dans les cortèges, ils ont imposé une manif tournant en rond autour de la Bastille...

Quelle que soit la voie choisie (et souvent l'Histoire choisit pour nous) on ne fera pas l'impasse d'un combat à couteaux tirés avec toutes ces politiques de contrôle. Il faudra les briser pour certaines et les contourner pour d'autres.

 

Que penses-tu de l’espace du Net, outil à multiples facettes ?

J.M.R. : Comme tu le dis, à multiples facettes... et donc il y en a de bonnes et d'autres mauvaises, des bonnes comme une véritable communication sociale, l'importance du Net s'est vérifiée dans la mobilisation contre la loi Travail... mais aussi on y trouve un alibi à moindre frais dans le geste du liker ou du petit procureur qui de chez lui décline les vérités totalisantes.

 

Dans le contexte actuel penses-tu qu’il vaut mieux se faire discret pour échanger librement ou au contraire investir tous les espaces ?

J.M.R. : En fait, j'en reviens à ma première réponse, personne n'a aujourd'hui de réponse à toutes les nouvelles problématiques. On doit avancer selon ses possibilités et sa situation concrète. Pour ma part, j'ai choisi l'apparition même si elle me met en danger. Je travaille dans la transmission, dans la diffusion de l'expérience d'une génération. J'écris. Je diffuse. Je transforme mes prises de parole en assemblée populaire comme nous y sommes parvenus dimanche à Corn avec vous. Je suis un acteur de notre recherche collective de nouvelles voies.

Crédit photos : Dominique Bex

 

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